SECRETS de POLICE

 

 

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◄ chien, chat et côte cassée ►

 

Je crois qu’il y a une histoire assez intéressante sur la création de votre chanson ‘Does Everyone Stare’ ...

Celle-ci, je l’ai composé quand j’étais au lycée. En fait, c’est l’une de mes histoires favorites. Lorsque j’étudiais la musique au lycée, j’étais le cancre de la classe parce que j’avais commencé à étudier la musique sur le tard. Bien sûr j’ai commencé à jouer de la batterie à 7 ans et j’ai enchaîné avec la guitare, mais je n’ai commencé à étudier les harmonies et la notation musicale qu’au lycée, pour passer des examens dans cette matière. Tous les autres avaient déjà étudié la flûte et le piano et pouvaient lire la musique sans difficulté. Un jour notre prof de composition musicale nous donne un travail très technique à faire à la maison “écrivez moi un morceau sur 16 mesures, harmonisé sur quatre parties, avec une ligne de basse sans utiliser de cinquième parallèle”. Je suis rentré chez moi et ai composé l’intro piano de ‘Does Everyone Stare’, je peux d’ailleurs encore la jouer aujourd’hui, c’est le seul truc que je peux faire au piano. Le jour suivant, elle a joué les compositions de chacun des élèves qui avaient tous faits des enchaînements d’accords basiques et lorsqu’elle en ai venue au morceau que j’avais composé, elle a déclaré “Stewart, ça c’est un vrai morceau de musique ! Je vais vous donner un A”. Et je me souviens que tout à coup j’ai pensé que je n’était pas en train de gaspiller mon temps, car je savais pertinemment, avec cette rivière de musique qui coulait en continu dans ma tête depuis l’enfance (et qui continue à couler aujourd’hui), qu’il n’y avait rien d’autre monde que j’aurai pu faire à part musicien. Cette musique dans ma tête, je savais que c’était du vrai de vrai ! Au début comme j’avais de mauvaises notes, je commençais à émettre des doutes sur mes vraies aptitudes, je pensais ne pas être un vrai musicien. Mais quand la prof m’a dit ces mots, cela s’est avéré être l’un des moments les plus importants de ma vie musicale ! J’aurais aimé la retrouver car les royalties de cette chanson suffiraient à couvrir tous les frais de mon entière éducation. Cette chanson est donc un exercice scolaire. Les paroles elles sont venues plus tard, je me suis inspiré d’une nana dont j’étais frapadingue.

Je ne savais pas que vous aviez également utilisé de la musique composé antérieurement pour le répertoire de police.

C’est à peu près la seule. Pour la première incarnation de Police, on se servait des riffs que j’avais composé pendant mes études mais cela a cessé dès que Sting a commencé à écrire des chansons. Il composait un titre et on en jetait un des miens, parce qu’ils n’étaient pas très bon ! Je les avais juste mis en place pour que nous ayons quelque chose sous la dent. Je ne m’en souciais pas vraiment, je n’étais pas encore un vrai compositeur. Sting lui l’était déjà. Je n’étais pas mécontent de me débarrasser de mes chansons nazes.

Mais vous vous donniez à fond dans les chansons qu’il vous apportait.

Oui, oui... Mais j’ai été pris par surprise, je n’ai pas vu arriver le coup. J’étais un jeune musicien ignorant, je ne connaissais pas les ficelles. Mais cette ignorance était préférable parce que je considérais ses chansons comme “nos” chansons. Moi je m’en fichais de savoir qui avait apporté tel ou tel titre. Si je la trouvais bonne j’avais simplement envie de travailler dessus. Je ne mes suis pas préoccupé de cela avant la fin du premier album, lorsque les gars de la maison de disques sont venus nous demander qui avait écrit les chansons. C’est là que je me suis rendu compte que Sting en avait écrit la plupart et que les miennes n’étaient plus là ! Je ne m’en était pas rendu compte mais il avait peu à peu opéré une main-mise sur l’écriture des chansons. Mais j’en étais heureux parce que ses chansons étaient bonnes. Dans ce cas-ci on peut presque dire que mon ignorance était de la sagesse. Mais après cela, quand il s’est agit de la préparation des autres albums, nous composions chacun nos chansons avec frénésie. Je dormais avec ma guitare, essayant perpétuellement d’en faire sortir quelque chose (rires). Andy et moi aurions très bien pu rester peinard à la maison, dans l’attente des nouvelles chansons que Sting apporterait, mais cela l’aurait certainement beaucoup choqué. Alors on travaillait très dur et avec beaucoup d’assiduité pour amener notre pierre à l’édifice. Quelque part, c’était aussi à double tranchant. D’un côté, il détestait d’avoir à rester assis à écouter nos chansons tout en tachant de rester diplomate. Bien sûr, il n’était jamais diplomate : “c’est vraiment de la merde !’ (rires), voilà le plut haut niveau de diplomatie de Sting. A l’opposé, il aurait encore plus détesté que nous arrivions les mains vides. Et de temps en temps, il y avait une chanson qu’il aimait bien. Par exemple ‘Darkness’ (album ‘Ghost In The Machine’), il avait craqué pour celle-ci.

Cette chanson aurait pu faire un beau single.

Oui, mais il manquait... il faut une structure très spécifique pour un single. C’est une super chanson d’album et j’en suis très fier. Donc Sting ne rejetait pas tout en vrac. Sauf quand ça venait de Andy. Ils ont tout deux des approches musicales très différentes l’une de l’autre.

Vous avez déclaré : “Sting et moi avons des points de vue très différents sur le monde, la politique, nous n’avons pas les mêmes valeurs”. Pouvez-vous commenter davantage ?

Nous ne sommes plus aussi différents que nous l’avons été lorsque nous étions “gamins”. Notre jeunesse s’est déroulée sur fond de guerre froide et de menace nucléaire. On n’y pense même plus aujourd’hui, mais lorsque je faisais mes études nous étions tous persuadés que nous allions y passer. Finalement la guerre froide s’est achevée. Sting était très naïf dans sa vision du monde, pour lui l’Amérique, c’était le capitalisme à l’assaut de la pauvre Russie. Je suis moi-même capitaliste et je considère le capitalisme comme le seul moyen d’être libre. Aujourd’hui, ces thèmes de discussions ne sont plus d’actualité, cela fait référence à une situation qui n’existe plus. Mon point de vue de l’époque est, de ce fait,  lui aussi hors de propos. Je ne vais pas dire aujourd’hui, “j’avais raison et il avait tort”. Je suis un livre ouvert, plutôt assez terre à terre : je crois ce que je vois. Sting est très mystérieux, secret, privé. L’aspect mystique à une grande importance pour lui alors que moi je m’en balance total ! Nous avons des caractères de nature différente, il est félin. Moi je suis un chien. J’ai ma préférence pour les chiens.

Et concernant cette fameuse côte cassée ?

Ok. Nous avons joué au Shea Stadium ce qui représentait symboliquement la conquête de l’Amérique. Les Beatles y ont joué leur plus grand concert. Quand tu fait le Shea Stadium, c’est terminé. Il y a probablement des concerts plus grands mais celui –ci à une place à part. Cet après-midi là, encore pendant les répétitions, toute la presse anglaise était réunie pour nous soutenir, c’est pas tous les jours qu’un groupe anglais, conquiert les Etats-Unis ! Il était tous présent et l’atmosphère était géniale, tout le monde était décontracté et occupé à raconter des blagues et à faire la fête. On nous branche pour une session photo et Andy, Sting et moi nous retrouvons assis sur une malle, cachée derrière les équipements. Comme l’ambiance est bonne, Sting et moi commençons à nous chamailler gentiment. Il m’arrache mon New-York Times des mains, je lui arrache à son tour et ainsi de suite, pendant que tout le monde se marre. Nous étions un peu en train de faire notre cinéma comme des gamins dans une cour de récré. Finalement, on tombe sur le sol, je me retrouve sur lui, mon genou sur sa poitrine et il pousse un cri : “oh merde, désolé mec. Tu vas bien ?”. On a fait le concert et quelques jours après c’était encore douloureux. Sting est allé faire une radio et sa côte était cassée. C’est tout ! C’est vraiment tout (il éclate de rire) ! C’était une fracture très légère, qui ne l’a pas empêché de faire le concert... ce fut d’ailleurs le meilleur de tous ceux que nous ayons jamais fait.

Sting aurait déclaré après ce concert : “on ne peut rien faire de mieux”.

On a tout arrêté. Comment surpasser ça ?

Et après cela, plus rien !

C’était terminé, oui... Lorsque nous nous sommes retrouvés en studio en 1986, le vrai problème c’est que nous n’avons pas pu jouer à cause de ma clavicule cassée. Si nous avions pu nous retrouver face à face avec Sting, nous aurions enregistré un autre album de Police, sans aucun problème. 

Pour expliquer la séparation de Police, Sting déclare qu’il a préféré arrêter pour ne pas avoir à répéter le concert du Shea Stadium à l’infini. Moi, je ne pense pas que ce soit la vraie raison parce que depuis le groupe, il continue à faire exactement la même chose, tournées géantes, enchaînement album-promotion...

Vous avez raison ! la vraie cause c’est qu’il n’est pas un joueur d’équipe. S’il était sportif, il serait tennisman, pas footballeur. Je suis le cadet de ma famille, j’adore le principe de la collaboration, faire partie d’une équipe, créer des liens d’amitié, partager l’effort et la gloire. Je suis fait comme ça ! lorsque j’ai fait le projet Klark Kent, c’était bien pour mon ego, mais lors de la promotion je me sentais bien seul. J’aurais préféré avoir mes frères d’armes avec moi que nous puissions ensemble nous nourrir de cette expérience. Faire partie d’un groupe, ça m’éclate vraiment. C’est mon truc.

Les autres membres du groupe police vous ont prêté main forte pour faire quelques télés sous le pseudonyme de Klark Kent (1978), c’est exact ?

Oui, c’était eux le groupe ! Mais sur le disque j’ai tout joué. Pour revenir aux motivations de Sting d’arrêter Police, disons, qu’il fonctionne de façon différente que moi. Il n’aimait pas l’idée d’être parvenu au top avec l’aide de tierces personnes. Il voulait parvenir au sommet sans l’aide de personne. J’ai un respect absolu pour ce désir, il n’y a pas de mal à ça. Ca n’a aucun rapport avec la musique, c’est juste une question de caractère. De plus, il ne voulait plus avoir à polémiquer sur aucun sujet. C’est son droit. Le prétexte du Shea Stadium, c’est que du blah, blah, c’est du pipeau.

Je n’y crois pas non plus.

Parce que, comme vous l’avez dit, il n’a jamais cessé de faire la même chose.

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