Entretien réalisé à Paris le 4 Octobre 1999 par Gert-Peter Bruch

 

 

Alors que sa troisième galette solo doit sortir dans l'année, retour sur une interview chaleureuse et instructive dans laquelle le percussionniste de renommée mondiale détaille ses collaborations avec Sting et parle de ses débuts en solo, acclamés par la critique.

 

 

Tu as fait le disque et la tournée ‘Nothing Like The Sun...’,  près de deux cents concerts avec Sting. Après ces événements, il n’y a pas eut d’échange musical entre vous pendant de longues années. Comment se sont effectuées ces retrouvailles discographiques ?

 

J’enregistrai dans un studio se trouvant au même étage que le siège de la ‘Rainforest Foundation’, je suis donc allé saluer Franca Scuito, la présidente et par la suite, on m’a recontacté pour participer au gala annuel de la fondation. On s’était tout de même revu depuis la tournée, car Sting et Branford Marsalis étaient venus taper le bœuf au Mikell’s club de New-York ou je me produisait avec mon groupe. J’avais également assisté à son ‘Three Penny Opera’ ainsi qu’au concert Beacon Theatre de la tournée ‘Soul Cages’. Nous nous sommes donc croisés très rarement et d’un seul coup,  on a eut mutuellement l’envie de se revoir... Sting m’a donc invité chez lui et j’ai été très bien reçu, le contact a été rétabli et depuis, je participe à chaque gala de la ‘Rainforest Foundation’, excepté le dernier en hommage à Sinatra ou c’est l’orchestre du crooner lui-même qui accompagnait les interprètes. Comme tu le sais, cette cause me tient particulièrement à cœur et je n’ai jamais oublié que Sting m’a emmené avec lui lors de son tout premier voyage en Amazonie, bien avant le lancement de sa campagne internationale (c’était en Novembre 1987 - Relire ‘Amazonie, Lutte Pour La Vie’ par Sting pour plus de détails). Ma rencontre avec Raoni reste un grand moment (Mino lui a dédié une chanson ‘Pwotege Nou’ qui ne figure pas sur l’album mais qu’il joue à la guitare 12 cordes lors de ses concerts). A l’occasion de ces galas du Carnegie Hall pour l’Amazonie les musiciens sont payés comme pour tout concert ; j’ai bien sûr refusé de l’être,  de par mes convictions.

Le premier gala auquel j’ai participé en 1994,  avait pour invités prestigieux Elton John, Pavarotti, Withney Houston... Un orchestre symphonique dirigé par une succession de trois chefs d’orchestre a également participé au projet ce qui nous a valu deux jours d’intenses répétitions. D’ailleurs une anecdote me revient à ce sujet : j’étais en pleine répétition avec James Taylor avec qui je jouais pour la première fois, lorsque Trudie (madame Sting) est arrivé en disant « viens vite Mino, Sting a besoin de toi ! ». En fait il y avait un problème dû à la distance qui séparait la section de percussions et le chef d’orchestre qui créait un délai dans l’espace sonore. Je te rassure, tout est rentré dans l’ordre ! Lors du gala de l’année suivante,  j’ai eut le plaisir d’accompagner Stevie Wonder. En 1996, sur le thème des Beatles, nous avons joué avec Joe Cocker, Madonna... elle était d’ailleurs venue avec Roberta Flack. Ces galas ont été pour moi l’occasion de rencontres inhabituelles. Les musiciens de Emilou Harris sont venu me voir après le morceau que nous avons joué ensemble pour me dire « c’est incroyable le feeling que tu as pour jouer de la country ! » (rires). J’écoute vraiment toutes les musiques et je dis toujours que si cette musique à une âme quelle qu’elle soit, elle me touchera et j’essayerai d’y apporter mon point de vue. Cette expérience à confirmé mes dires.

 

Ces galas t’ont donc permis de reprendre contact avec Sting ?

 

C’était de bonnes retrouvailles. Nous avons vécu si proches pendant deux ans, que cela créé forcément des affinités ! Ce n’était pas forcément rose tous les jours, mais ce sont des moments indélébiles dans mon esprit.

En dehors de ces galas, Sting m’a également demandé de participer à une soirée pour Versace au Metropolitan, aux côtés de Kenny Kirkland ; j’y tenais alternativement le rôle de batteur et de percussionniste. J’ai également participé avec lui à une autre soirée autour de Luciano Pavarotti.  On se revoit donc désormais de manière plus assidue. Il m’a ainsi invité à jammer au Madison Square Garden «viens avec le Udu, m’a-t-il dit ! (le Udu est une cruche africaine aux sonorités étranges que Mino a utilisé pour ‘Fragile’) ».

C’est donc de façon assez naturelle qu’il m’a appelé l’hiver dernier pour me parler de son projet d’album. Il m’a alors expliqué « j’aimerai faire comme avec ‘Fragile’, que tu viennes à le maison et que l’on commence tous les deux ensemble dès que tu es disponible ». J’ai donc répondu à son invitation et je suis resté avec lui une semaine au lieu des cinq jours prévus. Au moment de se séparer, je pensais qu’on allait en rester là, tous mes instruments étaient emballés, mais il m’a répondu « non, non, tu reviens Mino... »

 

C’est donc ainsi qu’à commencé ta collaboration au futur ‘Brand New Day’ ?

 

Oui, cette première semaine de travail a eu lieu en Angleterre et la seconde dans sa maison en Toscane (Italie). Malgré qu’il soit énorme, le studio de Sting est assez mobile et donc conçu pour le voyage. Nous avons donc effectivement travaillé en duo, un peu à la manière dont nous avions procédé lorsque j’avais amené un rythme joué sur mon Udu et que Sting avait composé Fragile en s’en inspirant (après que je lui ai suggéré l’idée d’une ballade à la guitare sur ce rythme). Donc pour les sessions de ‘Brand New Day’,  nous avons enregistrés des kilomètres de bande avec des sons que j’ai  programmé dans un instrument électronique appelé Wave Drum...

On ‘jammait’ en permanence pendant tout le temps ou j’étais présent et tout était stocké. Au moment de mon arrivée, Sting partait de zéro et cela a commencé avec ce travail en duo avec la participation toutefois d’un programmateur : Kipper. On travaillait puis on prenait un bon verre de vin, on se remettait au travail et ensuite on allait se baigner... et bien sûr, Sting m’a initié au yoga. Je ne suis pas aussi discipliné que lui mais je m’y suis mis. Quand Sting fait quelque chose, il le fait à fond, je ne suis donc pas étonné de la manière dont il pratique son art. Suite à cette initiation, j’ai participé avec lui et Kenny à une soirée pour le Yoga center de New-York . Je tiens à ajouter que Sting est un bon professeur de yoga (rires) ! Quoiqu’il arrive et malgré son emploi du temps, il le pratique entre une heure et une heure et demie chaque jour. Je fais souvent des réalisations d’albums pour d’autres musiciens et cela m’aide désormais à évacuer le stress que j’accumule à ces moments.  Et puis, les exercices peuvent être réalisés n’importe où...

 

Dans une chambre d’hôtel par exemple ?

 

Oui par exemple. Mais pas dans un avion quand même,  cela attire trop l’attention, tu peux arriver à placer une moitié de mouvement discrètement, mais pas plus (rires)...

 

Et attention aux trous d’air ! Revenons aux séances...

 

Oui, donc, on enregistrait sans cesse, puis parfois Sting faisait un break d’une demi-journée pour que nous puissions réécouter. Lorsque des choses nous plaisaient, on les reprenaient pour les développer. Parfois, nous ne trouvions que des grooves ou des mélodies et Sting se mettait à chantonner. Je l’ai eut au téléphone il y a quelques semaines et nous nous sommes parlés très chaleureusement ; il m’a dit qu’il était très heureux de l’album et m’a remercié pour ma participation.

 

Quels instruments as-tu utilisés pour ces séances ?

 

J’avais donc les waves drums dont je t’ai parlé, qui peuvent être accordés dans certaines tonalités. Je suis également venus avec des samples et un set de percussions. Et il m’a fait essayé sa petite guitare du XVIIIème siècle qui a un son incroyable. Il avait également une guitare synthétiseur qu’il accordait d’une manière particulière pour trouver des idées. Lorsque nos idées commençaient à se préciser, je lui demandait de faire un break d’une ou deux heures le temps pour moi de mettre en place des sections rythmiques, des grooves et d’ajuster les tonalités de mes tambours. Il revenait et ajoutait une voix ou un instrument... Notre travail prenait vraiment la forme d’une collaboration d’écriture.

 

Y a t’il des affinités dans la manière dont vous envisagez la création musicale ?

 

 

- Avec Cheb Mami en 1999 -

 

Je crois que nous avons une bonne entente musicale. On a par ailleurs déjà un vécu dans ce domaine. A l’époque de «’Nothing Like The Sun...’,  je faisais par exemple ‘Straight To My Heart’ en duo avec lui et j’ai même joué ‘Fragile’ seul avec lui devant les indiens Kayapos, chez Raoni . Après cette première semaine en Angleterre dont je t’ai déjà parlé, je suis revenu deux autres fois, ce qui prouve que cela

fonctionnait bien entre nous. Vers la fin de ma participation, certains morceaux étaient si élaborés qu’ils ressemblaient presque à des mix. Donc pour te résumer, nous avons travaillé en duo en Angleterre pendant deux séjours d’une semaine chacun et une semaine en Italie avec la présence de Kipper. Après mon départ, Sting a fait venir Manu Katché pour enregistrer les batteries ce qui montre que l’album commençait à prendre forme. J’ai appris par la suite que Cheb Mami chantait sur le disque, ce qui ne m’a pas vraiment étonné puisque nous avions trouvé la mélodie arabisante de la future chanson, ‘Desert Rose’ lors de nos séances en Angleterre. En réécoutant la version finale de ‘Desert Rose’  je me suis souvenu des heures entières que nous avions passé à enregistrer différentes versions. Le couplet d’intro, chanté en arabe par Cheb Mami, est la première mélodie que nous ayons trouvé sur ce thème musical. Sting est également très branché sur les sonorités de la musique indienne et je jouait donc avec des tablas pour certains jams que nous faisions.

 

Tu n’avais pas réécouté les chansons depuis le moment ou tu as quitté le studio de Sting en Italie. A cette époque, il n’y avait pas encore de texte sur les musiques. Tu viens juste d’écouter l’album avec les versions définitives des chansons,  peux-tu me dire quels changements sont intervenus après ton départ ?

 

Bon, j’ai écouté le disque assez rapidement, mais je peux te dire par exemple que nous avons monté la chanson ‘A Thousand Years’ lors de ma première visite en Angleterre . Nous avions déjà toute la structure. Pour ‘Desert Rose’, je me souviens que l’on improvisait avec guitare, synthé et percussions. Le résultat est surprenant. Je revois également Sting essayer sa guitare classique du XVIIIème siècle. Il a d’ailleurs joué du Bach dans une église avec cet instrument ! Enfin, nous étions partis sur une ambiance « arabo-médiévale ».

 

Quels sont les autres morceaux auxquels tu as participé intensivement sur ce disque ?

 

’After The Rain Has Fallen’, ‘Brand New Day ‘, ‘Ghost Story’... Et Sting a gardé quelques unes de mes interventions pour d’autres morceaux. Je pense à ‘Big Lie Small World’ par exemple ou je reconnais mon son de tambourin. ‘After The Rain...’ est née au début de ma venue en Italie. Sting recherchait une ambiance se rapprochant de ‘Nothing Like The Sun...’ . Dominic Miller est venu ‘jammer’ avec nous sur ce titre. Pour ‘Ghost Story’, je nous revois tard le soir à travailler ; je faisait une rythmique à base de wave drum et nous avons d’abord essayé de la faire tourner avec une guitare électrique avant de nous rabattre sur des sonorités acoustiques.

 

 

Et concernant le titre éponyme de l’album ‘Brand New Day’ ?

 

‘Brand New Day’ était déjà très élaboré lorsque je suis parti. C’est un des morceaux que nous avons le plus travaillé. Nous avons improvisé des heures pour essayer toutes sortes de feelings dans plusieurs styles différents. Sting fredonnait la mélodie en yaourt puisqu’il n’avait pas de paroles. Nous avons beaucoup ri et ce morceau est vraiment né dans la bonne humeur. La version gardée pour l’album est bien plus lente puisque nous l’avions travaillé au tempo de ‘Rock Steady’ (cf : album ‘Nothing Like The Sun…’ 1987).

 

Parlons maintenant de ce que tu as fait depuis cette collaboration fructueuse avec Sting...

 

Je travaille actuellement sur la musique d’un film documentaire sur Ousmane So, un excellent sculpteur du Sénégal. Et en ce moment précis, comme tu le sais,  je fais la promo de mon premier album solo, sorti le 5 0ctobre dernier en Europe.

 

Pourquoi as-tu choisi ce moment pour sortir enfin ton disque solo, que beaucoup attendent depuis des années car je sais que ce n’est pas la matière qui manquait ?

 

Je me suis dis que ce serait idiot de ne pas faire ce disque avant l’an 2000 (rires). J’ai souvent repoussé l’échéance à cause de mon coté perfectionniste et je m’investissais parallèlement dans de nombreux projets d’autres artistes, persuadé que mon album verrait le jour tôt ou tard ce qui est un peu dangereux car le temps a passé. J’ai fait beaucoup de réalisation et d’arrangements pour d’autres et acquis une certaine notoriété dans ce domaine. Mon approche dans a toujours été de tout donner et de m’investir totalement avec les gens auxquels j’étais associé. Je  me suis rendu compte malgré tout qu’il y avait toujours une partie de moi que je ne pouvait pas donner, ce qui à la longue devient frustrant lorsqu’on a vraiment d’autres choses à dire. C’est cette envie qui a donné naissance à l’album.

Miles Davis (avec qui Mino a enregistré 3 albums) me disait toujours « lance toi à l’eau, sors cette chanson », car il voyait bien que j’hésitai sans cesse. Et il avait raison car il y a des musiques qui vieillissent, des chansons que je n’ai plus envie de jouer... et c’est dommage qu’elles ne soient jamais sorties car elle étaient honnêtes et sincères au moment où je l’ai ai créée. Maintenant que ce disque est enfin sorti, je suis déjà dans le prochain (rires). L’erreur à commettre aurait été de vouloir tout faire dans cet album, comme je suis quelqu’un de très éclectique (nb : Mino est multi-instrumentiste). J’ai encore des facettes à faire découvrir. J’ai par exemple écrit des musiques pour instruments à cordes, pour Yves St Laurent, 18 minutes de musique non-stop !

 

As-tu fais beaucoup de musique de films ?

 

Un certain nombre oui. C’est d’ailleurs assez drôle, car la première B.O. que j’ai réalisé, il y a près de vingt ans, a été enregistré sur un petit magnétophone Revox deux pistes. J’utilisais alors la technique ping-pong qui consiste à sur-impressioner les instruments les uns après les autres sur la même piste, ce qui, au bout d’un moment,  finit par sonner comme une mélasse infâme ! Mon studio s’est bien amélioré par la suite (rires). Ma première bande originale pour un long métrage était celle de ‘Haitien Corner’ (1987), un film de Raoul Peck. J’ai également participé à ‘United Color’s Trade Up’, un documentaire sur les jeunes défavorisés de Los-Angeles et composé la musique de ‘Farandj’ avec des musiques inspirés de l’Afrique de l’Ouest et du rock !

 

Tu es aussi peintre, je crois ?

 

(rires) C’est une passion qui est dangereuse car souvent au lieu de terminer mes compositions, j’accompagne mes insomnies de peinture et d’encre. Je dessine depuis toujours, mais depuis peu c’est devenu une passion incontrôlable. J’ai fait récemment un concert en solo où l’on m’a donné carte blanche et j’ai pu exposer quelques toiles.

Ton album est classé dans la catégorie jazz chez tous les disquaires, en l’écoutant on n’a pourtant pas l’impression qu’il se situe dans ce style précis...

 

Ma musique touche à mon avis des personnes d’univers assez différent mais elle est difficile à étiqueter, que ce soit par les médias, les promoteurs ou les disquaires. Peu importe le style, la musique doit être sincère et raconter une histoire, sinon, c’est juste un assemblage de note et de rythme sans âme.

 

Je sais que tu écoutes beaucoup de musique, de tout horizon, que penses tu également de cette mode de musique arabisante que l’on retrouve aussi bien dans le rap que chez Madonna ou Sting ?

 

Les modes ont toujours eut tendance à m’amuser, mais lorsqu’elles sont associées à  une culture profonde, je trouve cela plutôt positif. Bon, il y a un peu de surfait avec par exemple la mode africaine, qui a d’ailleurs duré plus longtemps que je l’avais prévu, mais cela permet aussi de faire connaître des artistes de valeur, même s’il y a beaucoup de déchets. Les pionniers m’intéressent toujours, mais ce n’est pour moi que source d’inspiration. Je les écoute avec joie, quelque soit la musique. Aussi bien Bach que Louis Armstrong, La Callas, Oum Kalsoum etc... Tout m’intéresse. Je me suis même penché sur la techno pour essayer de comprendre ce qu’il se passe. J’ai passé une soirée chez un DJ qui m’a expliqué un tas de truc, il a fait des mixes devant moi... Dans toute musique, on trouve aussi bien le meilleur que le pire. Dans la techno, il y a l’aspect danse qui est très important, le mouvement est primordial. J’explique toujours que quelque soit le morceau de musique que tu composes, il ne faut pas briser la danse imaginaire qui le porte. Si tu brises l’harmonie, tu t’induis en erreur. Tout le monde ricanait lorsque le rap est apparu, et on s’aperçoit aujourd’hui qu’il en débouche plein de choses intéressantes...

 

Une chanson de ton album, ‘Soon I Will Be Home’, est dédiée à Kenny Kirkland.

 

L’histoire est simple : je me suis retrouvé avec deux versions de cette chanson, dont l’une a été enregistrée avec Kenny et Tracy Wormworth (bassiste de la tournée ‘Nothing Like The Sun...’ et ex-petite amie de Kirkland) . Nous avons enregistré également une autre chanson lors de ces séances et Kenny jouait du synthé. Donc j’avais son solo sur bande mais après sa disparition, je ne me suis pas senti très à l’aise et j’ai préféré lui dédier la chanson plutôt que de l’utiliser à titre posthume. Kenny était un des plus grands pianiste qui existait, c’était un être fragile qui a eut un parcours interrompu. Sa perte a été très douloureuse. Il était réellement un virtuose mais avait une telle maturité dans son jeu qu’il pouvait accompagner un chanteur sans jamais que l’on se rende compte qu’il était l’un des meilleurs. Il se mettait au service de la musique avec une grande humilité, et faisait briller celui qu’il accompagnait. Il avait également un humour sans pareil et une grande lucidité sur le show-bussiness et les gens. J’espère que l’on ne l’oubliera pas de si tôt ; j’ai été déçu par le peu d’hommage dans les médias.

 

 

Tu joues pratiquement tout sur ce disque, beaucoup vont découvrir tes talents de multi-instrumentiste

 

Au début, je comptais faire un trio où chacun participerait à l’écriture, mais je n’ai pas été suivi. J’ai donc commencé à enregistrer seul, à créer des grooves sur un échantillonneur, et à jouer de nombreux instruments du monde entier (Mino a d’ailleurs créé certains de ses instruments de percussion !), en m’inspirant d’images et de voyages que j’avais pu faire. Tous les instruments utilisés, je les ai choisi de manière instinctive. Dans ma chanson ‘Shibumi Dunes’, il y a par exemple un mélange de blues et de musique orientale...  et ma propre sauce. On parlait tout à l’heure d’ouverture d’esprit et je pense que ce qui a fait que le chemin parcouru avec Sting a été si fort est lié au fait que nous apprécions globalement la même musique. On se surprenait mutuellement, car lui aussi est toujours à la recherche de nouveaux sons.

 

Que penses-tu du parcours de Sting depuis ‘Nothing Like The Sun...’ auquel tu avais intensivement participé ?

 

Je l’avais vu sur scène au tout début de la tournée ‘Soul Cages’,  mais à l’époque ce n’était pas vraiment au point. Par la suite, cette formation a fait ses preuves.

 

Pour quelqu’un qui est en recherche musicale perpétuelle, il est quand même étonnant qu’il aie gardé pratiquement la même formation depuis près de dix ans, non ?

 

C’est vrai, mais cette formule de groupe est peut être l’aboutissement de ses recherches. Je n’oublie pas qu’il a explosé avec Police qui se caractérisait par une collaboration intensive de trois personnes avec chacun un rôle important à jouer, notamment Stewart Copeland dont la part de création n’a pas été reconnu à sa juste valeur. C’est souvent le cas pour un batteur, j’en sais quelque chose. Sting à toujours la même approche de la guitare depuis, car malgré tout, Police l’a marqué à vie. Il a aussi bien sûr cette passion pour le jazz qu’il a pu exprimer avec des gens comme Kenny Kirkland, Branford Marsalis ou Omar Hakim.

 

Tu aimes beaucoup Stewart Copeland, Je crois...

 

Ah oui, je suis fan. Je trouve qu’il a été un des seuls a apporté une telle énergie et tant d’inventivité dans le rock. Il a été beaucoup copié. Je l’ai rencontré brièvement et j’ai été très flatté d’apprendre par le biais de Miles qu’il pensait que j’étais le meilleur percussionniste de la planète (rires). C’est d’ailleurs à cette époque que l’on m’a proposé de faire partie du groupe Animal Logic (avec Stewart Copeland, Stanley Clarke et Debbie Holland).  Etant déjà engagé auprès de Sting, je n’avais alors pas pu honorer cette proposition. J’aimerai beaucoup collaborer de façon très sérieuse avec lui, je pense que nous ferions des choses extraordinaires à deux. J’aime bien ses musiques de films, je trouve qu’il a une belle sensibilité.

 

En tout cas l’appel est lancé, j’espère que l’on aura le plaisir de vous entendre jouer ensemble un beau jour ! Tu te souviens certainement de ta toute première rencontre avec Sting, peux tu me la raconter ?

 

Je sais que Darryl Jones et Omar Hakim (respectivement bassiste et batteur du premier groupe de Sting en solo) me faisaient beaucoup de publicité. D’ailleurs lors de notre rencontre la première chose qu’il m’a dit c’est « j’ai beaucoup entendu parler de toi ». Cette rencontre à eut lieu sur la place des droits de l’homme au Trocadéro de Paris, lors d’une soirée organisée par Amnesty, ou nous étions tous deux au programme (en Mai 1985) parmi d’autres, Michel Portal, Menphis Slim, Manu Dibango... à cette occasion, nous avons par ailleurs fait un trio tout à fait spontané avec Herbie Hancock et Branford Marsalis. Mais revenons au début du spectacle, on m’avait demandé d’en assurer l’ouverture, il y avait une sécurité incroyable, les chiens reniflaient les instruments… Je lance le rythme et soudain, je vois arriver le Président Mitterrand et je m’aperçois, à ma grande surprise, qu’il est en train de marcher en rythme ! Ca m’a fait un choc et je me suis dis «surtout ne coupe pas le mouvement » (rires). Ensuite, le Président est venu nous saluer après le show, et Sting nous a invité Herbie et moi à venir taper le bœuf au théâtre de Mogador, pour son concert. Après ce spectacle, Sting m’a dit qu’il aimerait bien travailler avec moi par la suite pour un nouveau projet en ajoutant «celui qui fait danser un Président peut faire danser n’importe qui ! ». Cela a donc été le départ de notre association.

 

Une dernière chose à ajouter concernant Sting ?

 

Oui, nous avons passé un bon moment ensemble récemment, il m’a dit être heureux, et je le crois. Il m’a aussi dit une chose étrange et profonde «tu sais Mino, je fais du yoga, j’ai une vie et une famille formidable mais en fait, je me prépare à mourir ». J’ai trouvé cela beau et profond, ça m’a marqué. Pour ne pas finir sur une note triste, Sting m’a permis d’assister à la naissance d’un de ces veaux et j’ai été impressionné par la mini forêt-vierge qu’il a installé sous une serre dans sa propriété de Lake House, avec des plantes ramenées d’Amazonie et deux iguanes pour habitant ; ça m’a un peu rappelé notre voyage.

 

- Complicité avec le grand Michel Portal -

 

Terminons avec ton premier album solo, très attendu par tous ceux qui te connaissent, non content d’avoir composé l’intégralité des morceaux, d’avoir joué pratiquement tous les instruments, tu l’as également réalisé et enregistré à la maison...

 

C’est vrai, mais excepté deux titres, il a été mixé ailleurs, pour ne pas tomber dans le confort. J’ai une petite pièce avec tous les appareils midi et les enregistreurs et une pièce avec les instruments. Mon living room a une acoustique formidable, parce qu’il est conçu avec beaucoup de bois ! ! Ma salle de bain a quand a elle une reverb très intéressante (rires). J’ai fait une recherche énorme pour ce disque au niveau des sonorités, en positionnant les micros de manière différente par exemple... ce qui donne parfois des résultats étonnants. Je suis connu en tant que percussionniste, mais j’adore l’orchestration, et j’espère que ça se ressens dans l’album.

 

La chanson ‘Confians’ qui figure sur ce disque est un des titres phares de ta carrière, tu l’avais déjà enregistré avec Weather Report...

 

Je crois que c’est le morceau phare de ma vie ! Je l’ai composé au début des années 80, lorsque j’étais avec Miles Davis. Si je décide de ne pas la jouer pendant un concert, les gens la réclament ! C’est écrit dans un style naïf, très imagé. Une fois, au fin fond de l’Espagne,  un gars me voit dans un petit bar vers deux heures du matin et me donne sa guitare en me chantant phonétiquement ‘Confians’ pour que je l’accompagne ; cela m’a beaucoup ému. L’enthousiasme du public pour cette chanson, je l’ai retrouvé aussi bien au Japon qu’en Israel ! Elle représente le moment ou j’ai quitté ma famille et mon pays (Mino vit à New-York) pour pouvoir continuer mon rêve. C’est ma manière de répondre à l’inquiétude que peuvent avoir des parents qui voient partir leur enfants à l’aventure. A mes débuts, il m’est quand même arrivé de faire de l’auto-stop, dormir sur la route et faire la manche pour manger ! Cette chanson, c’est un peu mon histoire

 

© Gert-Peter BRUCH 2002

 

 

 

BERNARD LAVILLIERS   RAONI   STING/THE POLICE   ARRET SUR IMAGES   OUVREZ LES GUILLEMETS  ITINERAIRES   ZOOMS   ACCUEIL  CONTACT